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Vivre l’aidance : le quotidien d’une belle-mère face au handicap et au regard des autres

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Nadège Sanou est une autrice qui partage sa vie entre l’écriture et son travail dans le milieu du social. Aidante de son beau-fils atteint de trisomie, elle nous raconte dans Accorder les sons, son parcours, son combat pour l'inclusion, son rôle d'aidante

Avec son premier roman Accorder les sons, Nadège Sanou nous livre un témoignage poignant sur la réalité de la vie d’aidant. Belle-mère d’un enfant atteint de trisomie 8 (une forme sévère de trisomie), l’autrice nous raconte son parcours, de sa rencontre avec son beau-fils âgée alors âgé de 5 ans aux nombreux obstacles auxquels elle a pu faire face. Aujourd’hui, c’est avec le recul nécessaire qu’elle nous raconte son histoire, avec émotion, afin de sensibiliser l’opinion publique aux difficultés du quotidien des aidant, mais aussi donner espoir à celles et ceux qui sont concernés par ces problématiques.

Mon quotidien d’aidante avec un enfant handicapé

Dans l’univers du handicap

Le handicap, je suis tombée dedans à travers la rencontre avec mon mari, papa solo d’un petit garçon atteint d’une trisomie 8, une forme très rare de trisomie. Généralement, ces enfants ne survivent pas à cause des difficultés et complications, de troubles physiques, de troubles au niveau du cerveau. Lui, il a survécu, mais à quel prix. Il ne parlait pas, il n’a jamais parlé d’ailleurs. Il était très dépendant pour tous les actes de la vie quotidienne et il avait pas mal de malformations physiques qui compliquent le quotidien (appareillages, attèles etc.). Quand on le voit dans la rue, on le devine tout de suite.

Le poids du regard des autres

Ce que je raconte dans le roman, c’est le rejet de la société, le rejet des inconnus dans la rue. Des regards parfois très appuyés et dérangeants, des regards pas toujours bienveillants non plus, et parfois même de l’aversion à son égard parce qu’il bavait. Je raconte le regard de la société sur les personnes handicapées qui rappelle tout de suite qu'ils sont différents, qu’ils ne sont pas comme nous. Il y a une forme de rejet déjà qui se traduit à travers ce simple geste qu’est le regard. Cela montre qu’il y a une acceptation qui n'est pas aboutie, qui n'est pas au rendez-vous tout simplement. Et ça, c'est l’une des premières choses à laquelle j'ai été confronté.

S’apprivoiser pour mieux s’accepter

Quand j'ai intégré la vie de mon compagnon de l'époque et de mon beau-fils, on a appris à se connaitre, à s’apprivoiser parce qu’il fallait qu’il m’accepte aussi. Il avait son quotidien avec son papa et le duo était déjà bien soudé avec une force incroyable et un amour sans limite. Une troisième personne qui arrive et qui va partager le papa avec lui, ce n'est pas évident, donc il a fallu que je trouve ma place, mais cela s’est fait naturellement. Très vite, j’ai été confronté effectivement à ce que je disais, le regard, parce qu'au quotidien je l’accompagnais, je sortais avec lui, que cela soit dans les parcs ou lors des rendez-vous médicaux quotidiens. Cela m’avait marqué parce que je n'avais jamais été au contact d'une personne handicapée à ce niveau-là. Et j'ai tout de suite vu que quelque chose n’allait pas. Des gens qui se figeaient, qui changeaient de trottoir et qui avaient des moments de sursaut, des petits gestes qui montraient qu’ils n’étaient pas rassurés.

Quand l’amour rencontre le handicap

Je n’ai pas hésité avant de me lancer dans la relation. Pourtant, lui, il a essayé de me prévenir, de me dire que c’était difficile, mais j’'étais amoureuse, j'étais jeune. Quand on est jeune, on déplace les montagnes, on n'a pas peur, on fonce. Maintenant, je le sais. Je l'ai rencontré, j'ai vu une journée type, je me suis posé des questions, à savoir si j’allais y arriver. Mais tout cela a très vite été dissipé parce qu'il était tellement attachant. Il avait 5 ans et il avait cette chose-là qui était assez magique : il ne parlait pas, il s'exprimait à travers des sons, et après, il souriait. Tout était expressif sur son visage, selon qu'il soit content, contrarié, on pouvait tout lire, c'était sur son visage. A partir de là, ma première envie a été de pouvoir communiquer avec lui, avec quelqu’un qui ne parlait pas. C'est très compliqué en soi parce que ça demande de se concentrer, de comprendre. Mais avec lui ça s'est fait naturellement, on a réussi tout de suite à connecter. Une certaine complicité qui a pris le pas sur le réel parce qu’il était vraiment adorable et attachant avec beaucoup d’amour qui s’est tissé dans cette relation, dans laquelle il donnait aussi beaucoup, presque autant que moi. Les premiers temps, ça a un peu pris le dessus sur les difficultés quotidiennes.

Concilier sa vie privée avec son rôle d’aidant

Un quotidien rythmé par les rendez-vous médicaux

Le quotidien avec un enfant qui a ce handicap est très compliqué puisqu'il y a beaucoup de rendez-vous paramédicaux, à l'IME (Institut médico-éducatif) par exemple. Donc, il faut l'amener chez le médecin, chez l'orthophoniste, chez le psychothérapeute, chez le kinésithérapeute. La journée est jalonnée comme ça, de moments et de rendez-vous qui prennent un peu toute la place finalement. Je me suis retrouvée dans ce quotidien dès le début, sans le savoir et sans le mesurer. J’étais aussi aidante sans le savoir. Parce qu’à l'époque, dans les années 2000, il y a 25 ans, on ne parlait pas encore de cette notion d’aidant familiaux.

Je n’en avais jamais entendu parler. On se retrouvait sans solution, on avançait comme on le pouvait avec les moyens du bord. Pas d’aide, de prise en charge sur le plan psychologique alors que le quotidien quand on accompagne quelqu’un quasiment 24h/24 sans aide est difficile. C’est ce que j’ai vécu, et il y a un isolement qui s’impose.

Les sacrifices invisibles de l’aidante

On est tellement pris dans un quotidien, avec l'accompagnement de la personne, les rendez-vous, que finalement, on n'a pas de temps pour soi, on s'oublie complètement, on est relégué au second plan, on laisse de côté nos envies, et nos passions. Et après, petit à petit, on s'isole aussi des autres sans s'en rendre compte puisque l’on va commencer à décliner les rendez-vous pour prendre un verre, pour sortir. On n’a plus le temps de se faire des petits restaurants comme avant. Finalement tout est tellement concentré sur l'être aimé, enfin l'être proche, vulnérable, que l’on s'oublie. On s'isole au niveau des amis, on s'isole parfois même au niveau du cercle familial, parce qu’on n'a pas le temps. Et cet isolement, c'est la chose pour moi qui est aujourd'hui à prendre en compte, parce qu’à terme cela va créer d'autres problèmes sur la personne aidante et avoir des conséquences assez lourdes sur le plan de l'épanouissement personnel. A un moment donné, il y a la fatigue qui s'impose. Il y a aussi des risques de dérive, tout simplement parce qu’on n'a pas cette soupape de respiration, ce bol d'air. Aujourd'hui, on a ce qu'on appelle des instants de répits dans des institutions, des associations ou des structures qui peuvent proposer aux personnes aidantes de pouvoir souffler. Il y a 20 ans, il n'y avait pas tout cela évidemment, et encore aujourd'hui c'est compliqué. Ce sont des situations qui sont difficiles avec des quotidiens très lourds, des quotidiens par toujours facilités.

Un engagement né de l’expérience

Je suis très liée au handicap, y compris dans ma vie personnelle. Quand j'ai terminé mes études, je me suis tout de suite intéressée à ce secteur-là. J’ai fait des études de droit et après je me suis spécialisée en ressources humaines. Je suis dedans depuis plus de 20 ans toujours dans le même secteur parce que je pense que lorsque l’on s’occupe des humains, notamment dans le social et les services rendus à la personne, c'est vraiment capital d’accompagner les plus vulnérables et trouver des solutions. Je suis RH dans une association qui gère des établissements avec des métiers de services à la personne. Ce sont des métiers compliqués où l’on prend soin des autres. J'ai envie de contribuer à ma manière aussi, à faciliter les quotidiens, à faire évoluer les choses, à permettre aux personnes qui travaillent dans ce secteur de se sentir bien, de se sentir valorisées. Ce sont des problématiques qui me touchent parce que je sais ce que c'est que d'être de l'autre côté en tant que parent. Et je sais que ceux qui s'occupent de ces personnes-là en établissement, ce sont des personnes vraiment engagées avec des valeurs et ça c'est vraiment louable.

Mon combat pour sa scolarisation

Le parcours du combattant pour sa scolarisation

Quelques temps après notre rencontre, on a commencé à chercher une place adaptée en établissement parce que comme il n'était pas accepté dans une école normale, il a fallu trouver des solutions. Le parcours du combattant commence pour une place en IME. A une semaine de la rentrée, on nous annonce qu’il n’y a pas de place adaptée pour lui. Commence alors la phase sans solution, c'est-à-dire sans école, sans institution spécialisée donc il reste malgré lui à la maison. À côté de cela, il faut s’en occuper. J’étais étudiante à l'époque, mais il fallait travailler donc le papa allait travailler, et moi, je me suis retrouvée un peu à pallier cette absence de prise en charge en me substituant aux nounous qu'on trouvait de temps en temps. C’est assez compliqué car les nourrices ne souhaitent pas toujours garder un enfant handicapé. On en trouvait parfois, mais elles partaient au bout de quelques jours parce que la charge était trop grande. On m’a déjà dit qu’on préférait s’occuper d’un enfant “normal” pour le même prix plutôt que d’un enfant handicapé. Et finalement, on a fini par avoir une place après des mois d'attente et de sollicitations.

Eduquer autrement, faute de choix

Il a été d'abord accueilli dans une structure pour enfants, puis pour jeunes et après, il a fini par entrer en internat. C'était très compliqué à la maison donc il est rentré en internat et on le voyait week-end quand il revenait. Il y a eu plusieurs phases. Ce qui est important et le point sur lequel je souhaite aussi mettre l'accent aujourd'hui, c'est que la situation est souvent complexe donc le travail est aussi un refuge et une manière pour les parents de pouvoir sortir du quotidien. Pour mon compagnon, il fallait qu'il s'accroche à quelque chose et le travail était vraiment cette chose à laquelle il pouvait s'accrocher pour continuer à vivre normalement puisqu’à part le travail, dans la maison c'était uniquement son fils et les difficultés qui vont avec. Même si y a beaucoup d'amour, ça reste une réalité. Il a continué à travailler. Moi j’ai continué à jongler jusqu’à la fin de mes études. Et j'ai trouvé du travail. Généralement dans ces familles, il y a un choix à faire, il y a un des parents qui arrête de travailler pour s'en occuper au quotidien, et même si parfois, on peut avoir juste quelques heures de prise en charge dans la journée, pour le reste ce sont les parents qui compensent. C'est une vraie problématique puisque moi je l'ai connu il y a plus de 20 ans mais aujourd'hui, c'est une problématique qui est toujours présente et qui est la plus grande difficulté de la question de la pris en charge au quotidien. Le parent, l’aidant n’est pas un professionnel, il est parfois démuni face à la situation parce qu'il n'est pas préparé à faire face aux crises. Le temps est long, les journées sont longues surtout quand on est pendant des heures à s'occuper de son enfant qui est en difficulté, qu'on est diminué, qu'on n'y arrive pas.

Une journée type ressemble à cela. Le matin, il faut le lever, il faut tout faire, l’habiller, le changer, lui donner à manger, l'accompagner pour prendre le bus en fonction des jours. Parfois il rentre plus tôt parce qu'il a des rendez-vous médicaux, il faut donc l’accompagner aux rendez-vous médicaux parce que c'est un enfant qui grandit mais qui ne sait absolument rien faire de lui-même. Par exemple, mon beau-fils n'a jamais été propre, ça rajoute de la difficulté aux journées. Les journées se succèdent et se ressemblent quasiment et au fur et à mesure qu'il grandissait cela rajoutait de la charge. Il n’y a aucune amélioration avec cette maladie. Il avait le corps d’un jeune de 15/20 ans avec la puberté et les troubles qui apparaissent mais l'âge mental est celui d'un enfant. C’était de plus en plus compliqué.