une jeune femme rend visite à sa mère en ehpad

Placer un proche en Ehpad : faire face au doute et à la culpabilité

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Lorsqu’un parent s’installe dans un Ehpad, beaucoup d’aidants font face à la culpabilité et au sentiment de trahison.

Salvatore, instituteur dans la Drome, âgé de 60 ans, en avait 15 de moins quand sa mère, Barbara, a commencé à souffrir de troubles apparentés à Alzheimer : “Mes deux frères aînés voulaient la mettre en maison de retraite, j’étais contre, on l’a prise à la maison, c’étaient les vacances.” Mais à la rentrée des classes, les choses sont devenues compliquées : “Je n’en avais pas envie, mais nous sommes allés visiter un Ehpad. Et là, ma mère me dit : ‘C'est quoi ici, il n’y a que des vieux !”, alors moi : “fils indigne, tu veux laisser ta mère ici…’ “ 

   

La mère et le fils sont repartis, mais il a fallu trouver une solution. Salvatore poursuit : “mes frères se sont dit, de loin : “laissons-le faire un peu”, ils attendaient que je me casse la figure.” Finalement, après un essai dans une famille d’accueil, la mère de famille est entrée dans un Ehpad, près de la ville où elle avait vécu de longues années, en Isère. Et près de ses fils aînés, qui sont venus la voir tous les jours, jusqu’au bout. Salvatore garde au cœur des sentiments d’échec, de culpabilité, et en veut à ses frères : “J’étais loin, ils étaient proches, je travaillais, ils étaient à la retraite. S’ils avaient fait plus, on aurait pu faire mieux.” Il ajoute pourtant : “mais je peux me tromper, c’était peut-être trop lourd…” 

S'affranchir de l’idée qu’il faut absolument accueillir les anciens chez soi

Pour Bernard Pradines, spécialiste en gériatrie, il faut avoir en tête que personne n’est coupable. “Il ne peut y avoir de séparation sans souffrance. Cette dernière pourrait toutefois être atténuée si la société arrive à s’affranchir de l’ancien modèle idéal selon lequel il faut rester chez soi jusqu’au bout dans l’affection des siens. Tant que ce schéma sera présent et fort dans nos esprits, il y aura inévitablement souffrance. On se dit qu’on avait la possibilité de remplir un devoir et qu’on ne l’a pas fait.” Pour le spécialiste, il faut voir la situation sous le prisme des évolutions sociales gagnées avec le temps. Particulièrement celles des femmes, à qui revenaient souvent la charge de s’occuper des anciens, mais qui peuvent aujourd’hui avoir une carrière. Résultats, plus de revenus, plus d’indépendance, mais moins de temps et d’énergie pour s’occuper des aînés. "L’accueil et la qualité des Ehpad a également beaucoup évolué. Il faudrait réfléchir à tout cela à l’échelle de la société. Mais il est plus simple de charger et culpabiliser l’individu." 

Trouver du réconfort auprès des autres

“Dans le maintien à domicile, il y a aussi une démarche de réparation, cela peut mener très loin, explique Cécile Giraud, psychologue clinicienne en Ehpad et thérapeute de famille. C’est toujours long de retrouver un équilibre après le placement, qui vient notamment mettre un terme à lavie de couple. Et plus les aidants familiaux sont allés loin dans l’accompagnement, plus le placementapparaît comme insensé.”


Trouver du réconfort auprès de tierces personnes est souvent un moyen d’alléger la culpabilité. “Il faut écouter le pharmacien, le médecin ou encore l’infirmière qui vont, tour à tour, nous dire que ce n’est plus possible pour nous de continuer ainsi, témoigne Bernard Pradines. Que l’on va, nous aussi, y laisser notre santé, qu’il faut qu’on agisse… Ils nous confortent dans notre choix.” Le spécialiste en gériatrie note toutefois une ambivalence forte de la société : “Une fois que vous aurez placé votre papa, par exemple, vous serez forcément amené à croiser un jour quelqu’un qui vous dira : “Moi, je ne l’ai pas fait. Cela vous renverra à vos doutes et à la contradiction entre le devoir sacrificiel et la préservation de votre santé.” 

Bien discuter avec le personnel de l’Ehpad

Les premiers instants où surgit le doute sur le maintien à domicile des personnes âgées sont les plus difficiles à vivre et le processus d’acceptation peut être long. Discuter en amont de l’Ehpad spécialisé peut être une bonne chose. 


Au-delà du doute pour son proche, en tant qu’aidant, l’entrée en institution d’un proche crée un déséquilibre, un changement de taille dans la relation avec son parent ou son conjoint. Le lien reste, mais sous une autre forme. Il dit autre chose de la vie, et de sa finitude : “Le domicile est comme le garant du continuum, il donne l’illusion de l’immortalité, précise Cécile Giraud. L’entrée en institution vient redire la condition humaine, le fait qu’on est tous pareils face à la mort, alors qu’on est très doués pour faire comme si cela n’existait pas. Cela déplace les enfants sur l’arbre généalogique, la qualité d’enfant est à requestionner. On n’est pas tout à fait le même quand on vient voir son parent en Ehpad, on est dépouillé. »

Continuer à aider après le placement

Quand son épouse est entrée en Ehpad, Paul, 85 ans, a eu envie de la suivre : “Je me suis retrouvé seul, je tournais dans ma tête, sans arrêt. J’ai pensé entrer en EHPAD, avec elle.” Mais Paul sait bien qu’il n’a pas sa place en institution. Il a trouvé une autre solution pour rester proche de sa femme et conserver ce statut d’aidant qui le maintient debout, en lui ajoutant une dimension d’engagement : “Je suis vice-président du Comité de vie sociale (CVS). J’y suis pour rester en contact, avec les familles des résidents, les services de santé, le personnel.”

Rester proches, c’est possible en institution

Maladie ou pas, quand le grand âge installe un autre rythme, une dépendance, une perte profonde d’autonomie, maintenir un lien apaisé avec son parent ou son conjoint, demande un changement de regard, un pas de côté. “Notre rôle est d’aider les familles à assouplir le lien qu’ils ont tissé dans la relation d’aide”, lance avec conviction Cécile Giraud. “Les familles sont beaucoup dans le faire, par la force des choses, c’est important de leur dire qu’on peut être bien aussi avec le cerveau au ralenti, qu’un quart d’heure assis sous le tilleul, ce n’est pas du temps perdu. Il faut les aider à lâcher prise, même si ce n’est pas facile, la position d’aidant a quelque chose d’héroïque, ce n’est pas facile de renoncer à son héroïsme, surtout quand on entend souvent ‘mais comment tu fais ?’

Un soutien psy et un groupe de parole pour les aidants

Pour aider les familles au moment de l’entrée en institution dont elle sait la difficulté, Cécile Giraud a mis en place il y a 17 ans, un groupe de parole. Un groupe où la parole des aidants prend une valeur inestimable, dans une relation d’égal à égal, de partage d’expérience, voire d’expertise pointue. Cécile Giraud se souvient notamment d’une réunion où une aidante a trouvé la solution pour une autre, évoquant l’accueil temporaire pour son conjoint. Elle-même, dans sa position de psychologue d’EHPAD, s’était autocensurée sur cette proposition. Elle avait laissé agir. Ainsi, par la parole, les solutions parfois se trouvent, se révèlent, s’imposent en douceur, au bon moment, dans l’écoute, le partage et la bienveillance.