Une jeune enfant sert dans ses bras son père qu'elle accompagne dans la maladie

Jeune aidante à 5 ans, je suis devenue adulte plus vite que prévu

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Margaux a 5 ans quand elle se retrouve aux côtés de son papa, malade du cancer. Elle le restera jusqu’à ses 10 ans, avant qu’il n’entre dans les derniers mois de sa maladie et décède. Aujourd’hui, elle en ressort grandie et plus forte.

J’avais quatre ans lorsque mon père, ébéniste, séparé de ma mère à l’époque, est tombé malade. Nous vivions dans le Sud de la France. Un an après, le verdict du diagnostic de la maladie tombe : mon père était atteint d’un cancer du cavum (ou cancer du nasopharynx), maladie qui se développe dans les cellules de la partie supérieure du pharynx, en arrière du nez. Une pathologie fréquente chez les gens qui pratiquent cette profession.

Contraint de s’arrêter de travailler, mon père a vécu quelques temps dans une caravane parce qu’il n’arrivait pas à trouver un logement. Comme il vivait assez proche du domicile de ma mère, je pouvais lui rendre souvent visite, voir habiter alternativement chez lui et chez elle. N’ayant pas de mode de garde défini, c’était selon mes envies. Ma maman étant infirmière, elle a été dans l’accompagnement, tout en essayant de le préparer à ma visite, quand il était hospitalisé, par exemple.

Une enfant avec des préoccupations d’adulte

Instinctivement, j’ai commencé à m’occuper de lui. Je me suis toujours sentie isolée, en décalage avec les enfants de mon âge. Je ne me sentais pas non plus à ma place avec les adultes, je vivais toujours dans un entre-deux. Je peinais à me positionner. J’étais une enfant avec des préoccupations d’adulte et des responsabilités au quotidien. Même si mon père gérait les formalités et le côté administratif, j’ai rapidement appris à me faire à manger et je lui préparais ses médicaments.

Malgré tout, c’était un quotidien très enrichissant. J’adorais cette vie. Je partageais des moments privilégiés avec mon papa : il m’aidait à faire mes devoirs, et nous avions une relation complice. Je me souviens avoir appris beaucoup de choses à ses côtés. À aucun moment, je n’ai vécu cette période comme une corvée.

Mais à l’école, ce n’était pas facile. Quand je parlais de ce que je vivais chez moi, mes camarades étaient choqués. Je me souviens avoir ressenti des sentiments de rejet, d’incompréhension… Le corps enseignant par contre, a fait preuve d’une grande compréhension. J’ai bénéficié d’une attention particulière, même si à l’époque, la question de la place des aidants n’était pas du tout la même.

Je trouvais le terme ‘aidant’ péjoratif

Lorsque la maladie a évolué, j’ai réduit mon temps passé avec lui, pour qu’il se repose, préférant privilégier la qualité des moments partagés. Un mélange de culpabilité, d’impuissance et d’inutilité a alors émergé. J’essayais de m’impliquer au maximum, pour le soulager. Je me disais qu’une fois toutes ces tâches remplies, on aurait plus de temps ensemble et que je contribuais à son bien-être.


J’ai mis du temps à qualifier ce rôle avec le terme “aidant”, parce qu’à l’époque, je le trouvais péjoratif. Lorsque ma maman, qui travaille dans les soins palliatifs, m’a dit un jour : “Toi aussi tu as été aidante", je lui ai répondu que non. Pour moi, pour être aidant, il fallait l’avoir choisi, or moi je l’ai fait naturellement. Puis j’ai compris que ce n’était pas un terme négatif. Être jeune aidant signifie qu’on endosse un rôle qui n’est pas celui d’un enfant de son âge, et qui vient perturber sa scolarité, son quotidien.

Je ne serais pas la même aujourd’hui

Le fait d’être aidant est vécu comme un poids sur le moment lorsqu’on est enfant, mais ça transforme le reste de votre vie. Ça m’a permis de me forger davantage, de mûrir, de savoir ce que je voulais. Finalement, ça m’a donné la force d’avancer. On m’a déjà posé la questio et si j’avais pu je n'aurais rien changé ! Cette période de ma vie m’a permis d’avoir une perception différente de l’existence en général. Et aujourd’hui, à 24 ans, ça me permet de ne pas replonger. Je ne souhaite ça à personne, et à la fois, je ne serais pas la même aujourd’hui.

Aujourd’hui encore, je reste en décalage avec mes amis d’enfance

En voyant à quel point l’accompagnement de mon papa a été important pour lui, je me suis dit qu’il fallait soutenir tous ces jeunes aidants, je me suis reconnue en eux. Via JADE (association Jeunes aidants ensemble), je mets sur pied des ateliers photographiques. Dans un monde d’abondance d’images sur les réseaux, capturer l’instant qui passe permet aussi de mettre plus d’émotion dans ses photos.

Quand mon père est décédé, j’ai tenu ma mère pour responsable, nos rapports ont été compliqués. Mais aujourd’hui, je ne lui en veux plus du tout. Au fil du temps, on a su recréer du dialogue entre nous et partager des moments intimes. Je reste parfois en décalage avec des amis de mon enfance : quand on a connu cette idée que tout peut s’arrêter à n’importe quel moment, cela donne de la force au quotidien. Mon vœu est de continuer à travailler autour de la notion d’aidant à la fois dans les séjours, mais aussi dans mes projets photos.

Ma philosophie

Je souhaite conseiller à tous les jeunes aidants, de faire de ce qu’ils ont vécu ou vivent une force, pour leurs aspirations, leur avenir.

Mon conseil pratique

Sortir du cadre familial et respirer un peu. A travers des séjours entre ados, par exemple, qui permettent de prendre du recul et de voir qu’ils ne sont pas seuls. Je suis sûre que si j’avais pu en bénéficier à l’époque, ça m’aurait beaucoup aidée. Rien que les colonies de vacances me faisaient du bien, comme une échappatoire.