Maman d’un adolescent atteint d’épidermolyse bulleuse, une maladie chronique, rare et incurable depuis sa naissance, Emmanuelle Rousseau raconte l’importance de trouver de la joie dans les petits plaisirs de la vie et s’accorder régulièrement des pauses pour se préserver.
“Prends soin de toi dès le début, ne t’oublie pas et accepte de déléguer”. Donner un conseil n’est jamais facile, pourtant, c’est celui que j’évoquerai spontanément à une maman qui vient d’apprendre le diagnostic de son enfant. Mon fils, Charles a 15 ans et demi. Depuis la naissance, il est atteint d’une maladie génétique rare et incurable au nom barbare d’épidermolyse bulleuse dystrophique. La particularité de cette maladie est une absence de collagène 7. Sa peau ne peut pas adhérer au derme. Le moindre choc ou frottement lui procure des bulles comparables à celles qu’on obtient après une longue journée passée à porter des chaussures neuves. Sauf que Charles, le vit sur l’ensemble du corps. La maladie ayant une forme dystrophique, alors les muqueuses sont également atteintes. Il a donc la même chose dans tout l’œsophage, et ce, jusqu’à l’anus.
Je me suis épuisée à tout faire
Mon fils est nourri par gastrostomie. Il ne peut manger par la bouche à cause de la fragilité de son œsophage, au risque de développer une sténose. Tous les matins, d’abord nous, puis, des infirmières libérales et désormais à l’hôpital, lui prodiguons des soins de peau qui sont douloureux, voire très douloureux certains jours. Le plus incroyable, c’est sa capacité de résilience. L’après-midi, il reprend sa vie en essayant de faire abstraction de ses soins. Le voir est une vraie leçon de courage.
Le plus difficile en tant que parent aidant, c’est de devoir gérer les trois grandes missions de front (le projet de vie de l’enfant, le projet de soin et le projet de scolaire) et tout le reste en parallèle. Au début, nous avons essayé de faire un maximum nous-même, y compris les soins. Mais la situation de mon fils est complexe et comparable à une micro-entreprise, tellement les intervenants sont nombreux. Entre la gestion des libéraux à la maison, emmener Charles chez les spécialistes dans les quatre coins de la ville, faire ses soins cutanés, faire les stocks du matériel et des médicaments, passer les commandes etc., puis dans la foulée conduire mon fils aîné Stanislas à l’école... alors je me suis épuisée à tout faire. Sans compter que Charles ne dormait pas la nuit.
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Nous avons été contraints et forcés de l'hospitaliser
Dès le début, j’ai eu une grande difficulté à lui faire ses soins infirmiers de peau pour lesquels le corps médical avait imaginé une délégation complète, à nous, parents. Combien de fois, je me suis retrouvée à la maison avec des nouvelles formes galéniques de médicaments en me demandant comment les faire passer dans la gastrostomie ? En 2013, l’épuisement s’est transformé en burn-out, aussi, nous avons été contraints et forcés d’hospitaliser Charles à l’ESEAN (Etablissement de Santé pour Enfants et Adolescents de la région Nantaise). En hospitalisation complète, en hôpital de jour, voire parfois en hôpital de semaine. Pour tenir dans la durée, ce qui nous convient à tous aujourd’hui est un mixte entre 3 à 4 nuits là-bas avec un retour de mon fils le mercredi après-midi et le week-end, une fois ses soins réalisés. Pour les vacances, il dort à la maison, mais repart tous les matins en ambulance pour ses soins de peau et revient pour déjeuner.
La décision a été cornélienne. Les avis médicaux étaient contradictoires. Certains nous ont dit, dès le début, de ne pas tout gérer et le faire hospitaliser, d’autres que notre fils devait aller à l’école "comme les autres" ! Aucune solution n’est l’idéale, elle évolue en fonction de la situation médicale du moment. A commencer par déléguer les soins cutanés à des professionnels de santé afin de nous permettre, à mon mari et à moi, de souffler, de prendre soin de notre autre fils Stanislas et de notre couple aussi. L’avantage est d’être totalement disponibles pour Charles post soins.
Accepter de laisser notre fils dormir à l’hôpital, de déléguer les soins à des tiers… Ce fut un long cheminement. Même si aujourd’hui j’ai appris à vivre avec, à chaque fois que le téléphone sonne, je vis dans l’angoisse d’une annonce grave. Là aussi, le travail sur soi est long. Il est nécessaire d’accepter que cette vie ne soit pas linéaire et pleine d’imprévus et aussi savoir passer au-delà des remarques culpabilisantes des autres.
Bain, bougie, musique, repas... mes sens sont nourris
Psychologue, shiatsu, acupuncture, massage et séjours de répit improvisés sont des coûts de gestion personnels énormes, mais indispensables. Vivre l’instant présent nous ouvre à chercher méticuleusement de minuscules bonheurs dans les petites choses simples de la vie quotidienne. Pour exemple, comme régulièrement depuis un an, il est arrivé récemment à Charles de dormir toute l’après-midi parce qu’il était épuisé par ses soins. Il s’est réveillé à 18 heures, en pleurs et en colère, car pour lui son après-midi avait été gâchée. Entre culpabilité et soutien, pas facile de savoir quelle posture prendre. Le réveiller ou le laisser dormir ? Alors, je suis allée faire des courses, j’ai invité un des amis de Stanislas à la maison et nous avons fait une soirée moules frites. Tout le monde a participé, la musique a retenti et les bougies ont scintillé dans le jardin. Ce fut une très belle soirée.
De mon côté, je nourris mes sens. Je prends des bains, avec des bougies, de la mousse, j’écoute beaucoup de musique. Je porte des pulls très doux, je fais attention aux couleurs que je porte. Les odeurs d’Ylang Ylang, de lavande et de rose sont des fragrances qui m’aident. Je possède des accessoires de bien-être. J’essaye de lire, d’aller au cinéma, de faire du shopping aussi de temps en temps. Avec mon mari, nous sommes assez gourmets, alors, on peut s’ouvrir une bonne bouteille et se faire un petit apéritif. J’écris car c’est tellement libérateur. J’ai partagé mon expérience dans un livre témoignage (Drôle de Bulles, éditions Salvator 2017), et aujourd’hui avec mon blog : Drôles de bulles.
Les notifications de mail et rappels de médecins : un impact intrusif important
Netflix m’a permis de m’évader. Je me pose dans le canapé avec un bon plaid, une bougie et je me vide le cerveau pour le temps d’un film ou d’une série sans oublier de mettre le téléphone en mode avion. Ce tiers - la maladie - non invité a un bruit de fond permanent.
Le couple est aussi très régulièrement et rudement mis à l’épreuve. Aujourd’hui avec mon mari, nous faisons le choix de nous recentrer sur nous. Le chemin du lâcher prise est indispensable pour prendre soin de soi, même si la culpabilité titille encore parfois. Ce chemin est escarpé et encore long et en même temps tellement riche puisque ponctué de belles petites et grandes victoires.
Pour en savoir plus : sur le parcours d’Emmanuelle et la maladie Charles, rendez-vous sur son blog ou sa page Facebook.