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La perte d’autonomie d’un parent bouleverse toute la famille. Maintien à domicile, mise sous tutelle, entrée en EHPAD… La fratrie est amenée à se réunir pour prendre des décisions importantes. Lorsque les émotions du passé ressurgissent avec des risques de conflits de famille, la médiation familiale peut aider.
L’un des enfants devient peu à peu l’aidant principal
La perte d'autonomie des personnes âgées touche de près leurs proches, et devenir aidant familial est rarement une mission à laquelle on est préparé. Petit à petit, la dépendance s'installe. C'est souvent l'un des enfants qui pallie, qui aide un peu, puis un peu plus. Et parfois, sans s'en rendre compte, il devient ce que l'on appelle l'aidant principal, celui qui est en première ligne auprès du père ou de la mère, pour l'aider à continuer à vivre à la maison. Les raisons pour lesquelles c'est lui – ou le plus souvent, elle – qui prend cette place sont diverses, comme l'explique Pierre Charazac, psychiatre spécialiste des personnes âgées : « Certains facteurs sont d'ordre rationnel : c'est moi qui suis le plus près, je suis à la retraite, ma sœur est en mauvaise santé, mon frère est à l'étranger. Il y a aussi des aidants principaux qui ne sont pas forcément les mieux placés, mais qui tiennent à prendre cette place car ils ont le désir de réparer quelque chose. C'est parfois l'enfant qui s'est senti mal aimé, mis à l'écart, comme s'il voulait gagner une affection qu'il n'a pas eu, une ultime compensation. »
Pas toujours simple pour les aidants de demander de l’aide
Certains aidants principaux sauront se faire aider, accepter leurs limites, faire appel à leurs proches, frères et sœurs notamment. D'autres seront tellement engagés dans leur tâche, si particulière, qu'ils ne laisseront de place à personne, sans forcément de mauvaises intentions. Ainsi le raconte Marie, 64 ans, qui s'est occupée de son père et de sa mère à domicile, et vit aujourd'hui des tensions avec sa sœur : « On m'a dit un jour que je n'avais pas laissé de place à ma sœur. Cela m'a fait mal, mais c'est vrai. Quand on est dans l'action, on gère tout en même temps, on ne se rend pas compte.» Mais lorsque l’on aide ses parents vieillissants, l'épuisement n’est jamais loin. On tient le plus possible, on veut faire au mieux, on refuse de voir ses difficultés. On aurait pu demander de l'aide, mais on ne l'a pas fait. Et tout à coup, on réalise qu'on s'est laissé engloutir, que le rôle d’aidant occupe toute la place et que nos proches en souffrent. C'est alors que fatigué, débordé, excédé, on se tourne vers ses frères et sœurs pour qu'ils s'impliquent, aident à financer des aides à domicile ou pour envisager une entrée en maison de retraite médicalisée. Et c’est là que peuvent jaillir certains conflits familiaux.
Quand la fratrie découvre, soudain, la dépendance du parent
Maguy Merlin, médiatrice familiale, ancienne présidente de l'association Médiation Part'Âge : explique : « Souvent, l'enfant qui voit venir la dépendance d’une personne âgée , le plus proche géographiquement, n'ose pas en parler aux autres. Il risque l'incompréhension. Ils sont loin, ils ne voient pas. Pourtant, c'est là qu'il faudrait se réunir et discuter. Du coup, la dépendance est révélée brusquement et il y a risque de conflit. »
La situation d’urgence bouscule l'aidant principal et sa fratrie
Pour l'aidant principal, cette situation qui vient rappeler à tous l'urgence d'agir, est compliquée, même si chacun est prêt à s'impliquer. Ainsi l'explique Françoise Duchâteau, médiatrice familiale au Centre de la famille et de la médiation ( CFMédiation ), à Lyon : « Quand un événement vient réveiller une famille, signifiant aux absents qu'on arrive à un virage, tout à coup, l'aidant principal est en difficulté. Il était seul et ne sait pas quoi faire de cette fratrie envahissante. C'est un coup de pied dans la fourmilière, on s'agite, et les problèmes sont amplifiés. » D'autant que les frères et sœurs peuvent alors découvrir des décisions prises sans concertation. L'aidant principal, confronté aux difficultés du quotidien, n'aura pas prévenu les autres, ou l'aura fait, sans être entendu.
L'entrée en EHPAD, un virage pour les familles
Un grand nombre d' entrée en maison de retraite se fait dans l'urgence, mettant tout le monde à mal. Or, une installation réussie dans ce nouveau lieu de vie dépend en grande partie de la sérénité dans laquelle elle se déroule et des relations qui s'établissent entre les aidants et l'institution. Anne-Claire Reveret, psychologue à l'EHPAD Les jardins de Coublevie, en Isère, précise : "La collaboration avec les familles permet de savoir qui est la personne accueillie, de connaître sa personnalité. Cette personne avait un relatif équilibre dans son maintien à domicile, que le placement en institution de santé vient bousculer. On pose toujours la question : comment ce placement s'est-il décidé ?"
Renouer le dialogue, pour le bien de toute la famille
"L’entrée en EHPAD peut être difficile à vivre pour les aidants familiaux, précise Françoise du Château. Cette période est chargée, elle évoque l'approche de la mort." C'est un moment où il est important de parler, avec le psychologue de l'EHPAD dont une partie du travail consiste à recevoir les familles, mais aussi avec ses frères et sœurs si le placement a créé des tensions. Il n'est pas trop tard pour renouer le dialogue. Chacun y trouvera des bénéfices, les enfants, mais aussi le parent qui commence une nouvelle étape de sa vie, la dernière, en maison de retraite.
Histoires d'argent, histoires de famille
Quand un parent devient dépendant, les questions d'argent s'invitent immanquablement : coût du maintien à domicile, procuration sur les comptes, mise sous tutelle en famille, paiement de l'EHPAD, vente de la maison de famille... Dans ces situations où les fratries doivent s'accorder, le conflit guette. Les questions d'argent renvoient chacun à sa situation financière, donc à sa réussite professionnelle, à ses choix de vie, à ses éventuels échecs, à la fierté qu'il ou elle aura pu susciter, ou non, chez l'un ou l'autre de ses parents. Rien de tel pour réveiller des jalousies anciennes, que l'on croyait enterrées.
La médiation familiale pour éviter la procédure judiciaire
Catherine était, quant à elle, à 62 ans, brouillée avec ses sœurs depuis le décès de leur mère. L'entrée de leur père en maison de retraite a mis au jour un trou dans ses comptes : "L'une de mes sœurs était tutrice de mon père, je n'étais pas d'accord avec ses décisions. J'ai été étonnée qu'il n'y ait pas assez d'argent pour payer l'EHPAD." Catherine a fait appel à un médiateur familial pour renouer le dialogue avec ses sœurs, qui avoueront avoir pioché dans les économies. "C'était très difficile pour moi d'être en mauvais termes avec mes sœurs à cause de la gestion des biens de papa, ajoute Catherine. Je savais qu'elles se servaient sur le compte et j'étais décidée à entamer une procédure judiciaire." Finalement, il n'y aura pas de procédure. La situation financière du père reste difficile, mais Catherine s'est apaisée parce que le dialogue a été renoué, et qu'elle a pu être entendue après avoir été mise à l'écart.