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Un couple de personnes âgées font du vélo sur la plage temoignage

Pendant 10 ans, notre grand-père est parti progressivement

Publié le 28/11/2019 - par Equipe Ma Boussole Aidants | 5 min de lecture

Axelle, aidante de son grand-père atteint d'Alzheimer revient sur les multiples deuils qu'engendre l'accompagnement d'un proche atteint de cette malade neurodégénérative. 

Mon grand-père avait Alzheimer. C’était un intellectuel, un homme de lettre. Après une carrière en tant que professeur d’allemand, il s’est consacré à la théologie. Comme il aimait beaucoup jouer avec les mots, il a vite compris que quelque chose n’allait plus au niveau de sa mémoire et il a été diagnostiqué très tôt. La prise en charge précoce de la maladie a permis une évolution lente, qui a duré 20 ans. Je l’ai toujours vu plongé dans ses livres. Ils adoraient nous lire des sketchs de Raymond Devos, et ce même lorsque la maladie était déjà bien installée. Et surtout, il a toujours été un as du camouflage de ses faiblesses, et il arrivait à donner illusion à tout à chacun.

Le décès de notre grand-mère comme point de départ

Il choisissait minutieusement ses mots, faisant croire qu’il se souvenait parfaitement des gens qu’il croisait alors même qu’ils ne lui évoquaient rien. C’était bluffant.

Le deuil, il a eu lieu plusieurs fois pour nous. On a perdu notre grand-mère, qui a été la première aidante de notre grand-père et qui a été emportée en quelques semaines par un cancer des poumons. Il était malade depuis déjà 10 ans de la maladie d’Alzheimer. Ma maman a eu cette phrase terrible peu après son décès : "En perdant ma maman, j’ai perdu mes deux parents".

En fait, Grand-mère était la mémoire de la famille, c’est elle qui nous racontait des anecdotes sur tout le monde, Grand-père rebondissait sur certaines, mais quand elle est partie, il n’a plus raconté grand-chose sur son passé. En fait, on s’est progressivement aperçus qu’il avait perdu 45 ans de sa vie, les 45 dernières années. A l’écouter parler, on avait l’impression qu’il venait d’arriver dans sa maison, alors qu’il y vivait depuis presque 50 ans. 50 années au cours desquelles il avait eu 3 enfants et 7 petits-enfants. En perdant Grand-mère, on a perdu un gros morceau de Grand-père. Le reste s’est effrité pendant les 10 années qui ont suivi.

Un deuil progressif en 10 ans 

En 10 ans, on a fait le deuil progressif de Grand-père. A chaque fois que quelque chose ne fonctionnait plus, qu’un souvenir n’éveillait plus rien, qu’il perdait une capacité physique, on savait que cela ne reviendrait plus. Alors, on prit garde à consigner, chaque week-end que l’on passait à ses côtés, ses petites phrases rien qu’à lui. Un peu comme les parents le font pour les premières phrases de leurs enfants, on l’a fait pour les dernières de notre grand-père. Je ne partais jamais en balade avec lui sans mon petit carnet et j’ai fait avec lui de l’archéologie au grenier pour retrouver des livres sur la famille et mieux comprendre qui la composait, avant nous.

Grand-père nous a aussi appris à faire la distinction entre ce qu’une personne comprend et ce qu’elle est capable de dire. Il s’exprimait beaucoup par mimiques à la fin, et on savait ce que tel ou tel geste signifiait. Par exemple, je suis persuadée qu’il savait qui on était, même si extérieurement rien ne le prouvait. Il a longtemps dit « gentille personne » pour qualifier tous les proches, avec un lien fort. Il n’avait plus les mots « enfant » ou « neveu » en tête, il ne les prononçait plus. Ce n’est pas parce qu’il ne m’appelait plus par mon prénom qu’il ne savait pas qui j’étais.

Autre exemple, quand le médecin lui a demandé s’il savait ce que c’était en lui tendant un stylo. Il n’avait plus le mot. Mais il a pris le stylo et lui a montré que c’était pour écrire. Et puis, il ne voulait pas se tromper. Alors il préférait ne rien dire que de prendre le risque de prononcer le mauvais prénom ou le mauvais mot.

En l'assistant trop, on lui a fait perdre ses capacités

Notre chance, c’est qu’il a toujours été très positif. Il s’enthousiasmait à chaque repas, admirait les oiseaux à la fenêtre, s’extasiait sur des petits riens, la tristesse ne le gagnait que quand il constatait qu’il n’arrivait plus à faire fonctionner son cerveau.

Sa première chute a été le déclencheur de la fin. Pour rassurer tout le monde, il a été mis en fauteuil et n’a plus su se relever tout seul, mais c’était sa liberté de mourir de froid s’il le voulait en allant marcher trop tard dans le jardin. Il avait envie de marcher, mais en l’assistant trop, on lui a fait perdre ses capacités. Aucun des enfants n’a voulu prendre le risque de se faire reprocher une mort précoce, alors tout le monde a accepté le fauteuil roulant. Et puis, une garde en continue a été mise en place, et il était chez lui, seul, cela n’avait plus de sens. En établissement, il aurait eu plus de contact avec les gens. Il est resté très peu de temps en EPHAD, à un stade de la maladie où son corps n’était plus qu’une coquille vide et contraignante. Il ne s’exprimait plus que par des sourires. Pour nous, quand on a dit « Il est parti », c’était vraiment synonyme qu’il s’était libéré, échappé de ce corps enfermant.

"Son décès, on l’a vu comme un envol et le deuil, définitif cette fois, s’est fait doucement, dans la continuité des dernières années."

Ma philosophie

Concentrer son énergie sur la relation. Ce qui fait tenir, c’est le lien spécifique que l’on a avec la personne. On est là, pas parce qu’on est pro, mais parce qu’on a un lien, une relation forte avec son grand-père. Et c’est sur cette énergie qu’il faut se reposer. Ses sourires valaient bien toute cette énergie déployée autour de lui.

Mon conseil pratique

Savoir dire non, trouver ses limites à l’aide que l’on apporte. En 10 ans, ma mère, l’aidante principale, n’a jamais fait prendre sa douche à son papa. Nous sommes une famille très pudique, et s’il avait eu toute sa tête, il l’aurait clairement refusé, alors elle ne pouvait pas l’envisager. C’était sa limite personnelle. Ses frères l’ont fait. Quand on venait un week-end, et qu’il n’y avait pas d’aide-soignante, il ne se douchait pas et on le vivait bien.  

Mon autre conseil : Il n’y a pas que le gaz qui fait des dégâts dans une maison. Mon grand-père n’a jamais cuisiné, alors la cuisinière, il n’a jamais cherché à savoir comment elle marchait. Par contre, la douche, il savait. Et quand il a ouvert le robinet une nuit, il a fallu refaire intégralement 3 pièces de la maison.

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Ici, Ma Boussole Aidants prend un parti assez différent : celui de s’attacher à ce qu’il est possible de faire, pour s’organiser et fonctionner au quotidien avec son proche, pour se comprendre et communiquer. Les déficiences sont un fait, mais leurs conséquences peuvent parfois être atténuées par de petites stratégies notamment en lien avec l’environnement matériel et social.

Tout en gardant à l’esprit que les situations sont très différentes d’une personne à l’autre, et qu’il n’y a pas une seule bonne façon de faire, Ma Boussole vous propose ici des articles et des témoignages pour vous aider à mieux comprendre ce qui se joue à différents moments clé généralement rencontrés quand on accompagne un proche malade ou en situation de handicap. Quand c’est le cas, ils pourront aussi vous aiguiller sur ces comportements au quotidien qui peuvent faciliter certaines situations.