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Personne ne voyait ma fille comme moi. Il y avait Brune à l’école, Brune à la maison, Brune chez l’ergothérapeute, chez la psychomotricienne, chez la psy… Mais personne ne savait coordonner tout ça à la fois. Il n’y avait que moi. J’étais le taxi qui la conduisait chez tous à l'école et chez tous les spécialistes. Le seul point commun entre tous ces rendez-vous. J’étais une aidante et j’ai beaucoup souffert de ne plus avoir de temps pour être juste la maman de Brune. Personne ne la voyait dans sa globalité. On s’intéressait beaucoup aux difficultés liées à son diagnostic, mais personne ne proposait quoi que ce soit pour l’aider à suivre une scolarité adaptée à elle ou à développer ses capacités extraordinaires que moi seule voyait à la maison. Ma fille a une appétence pour le dessin et une sensibilité particulière à la musique, par exemple.
Je souffrais énormément en tant que mère de la voir malheureuse.Et puis un matin, elle m’a dit : “c’est trop injuste, j’aimerais tellement redevenir une petite fille”. Cette phrase a été le détonateur pour moi.Elle voyait ses frères et sœurs partir à l’école, cartable sur le dos alors qu’elle n’y allait plus à cause d’un parcours scolaire chaotique et douloureux, pavé de difficultés que l’école “classique” n’a pas su, ni pu gérer. Alors je me suis dit pourquoi ne pas se mettre en chemin pour créer l’école dont elle avait besoin. C’est comme ça qu’a débuté le projet de MEEO, Mon Ecole ExtraOrdinaire
Un parcours culpabilisant avant d’obtenir un vrai diagnostic
Brune est l’ainée de mes quatre enfants, que j’élève seule aujourd’hui. J’ai quitté mon emploi de cheffe d’entreprise pour m’occuper d'eux et tenter de faire évoluer Brune de manière douce et avec toutes ses particularités. Dès l’âge de six mois, elle a montré des signes de développement atypiques. Le regard n’était pas en place, elle ne répondait pas à son prénom et puis le lien mère-enfant était différent de tout ce que j’avais pu lire dans les livres sur les enfants dits “typiques”. Lorsque sa petite sœur est née, 14 mois après elle, on a vraiment remarqué la différence. Brune dormait mal, elle était très angoissée et perturbée sensoriellement. Au moindre bruit, elle pouvait faire une crise, se taper la tête contre les murs ou le sol. Elle parlait, mais uniquement pour répéter des mots savants entendus à la radio, rarement pour faire une demande ou être dans l’échange.
À la halte-garderie, les professionnels m’ont alertée sur sa solitude. À ce moment-là, j’ai débuté les démarches pour comprendre, mais je ne me suis heurtée qu’à des recommandations et des accusations sur mon éducation et sur le fait que j’avais eu des enfants trop rapprochés en âge, ce qui aurait pu la perturber. Bref, j’étais une mauvaise mère.
Choisir entre le parcours scolaire ou la vie sociale
À son arrivée en maternelle, elle n’était pas propre alors, elle allait à l’école seulement le matin. L’après-midi, je la gardais pour faire la sieste et l’emmener chez la pédopsychiatre et la psychomotricienne qui étaient déjà mise en place à ce moment, mais sans réel diagnostic.
Le verdict n’a été officiellement posé que vers l’âge de sept ans. C’est la moyenne, mais c’est beaucoup trop tardif. Entre temps, je n’ai eu que des semblants de suggestions, mais rien de précis. Les médecins ne voulaient pas me suivre sur la piste de l’autisme et m’aider à monter le dossier. Je voyais bien que personne ne voulait sortir le loup du bois. Et Brune cumulait les difficultés en école classique.
Au CP, le rythme était trop intense pour y aller toute la journée, sans compter qu’elle était à mi-temps à cause de toutes ses prises en charge. À un moment donné, quand on est parent de ce type d’enfant, on se demande si on privilégie plutôt le scolaire ou la vie sociale. Nous, nous avons décidé de miser sur le social. Brune est restée à l’école parce qu’elle était entourée de camarades bienveillants, elle était même invitée à des anniversaires. Mais son arrivée en CE1 a été un échec total, parce qu’elle avait conscience qu’elle avait du retard, que les fiches qu’on lui donnait n’étaient pas celles des autres. Ma fille s’est enfoncée moralement jusqu’à faire une dépression, avec un état de santé qui se dégradait.
Travailler les compétences et en faire des leviers
Le directeur a été assez cash. Il nous a dit : “écoutez nous on ne sait pas faire. Elle n’a pas sa place en CE1 et encore moins en CE2”. En parallèle, l’orthophoniste détecte une suspicion de multiples troubles des fonctions exécutives, de troubles DYS, malgré une intelligence tout à fait dans la norme. À partir de cet instant, les médecins ont vraiment commencé à parler autisme. Mais ça ne me suffisait pas, parce qu'on ne répondait toujours pas aux besoins de ma fille.
Grâce à des amis, j’ai obtenu un rendez-vous avec une spécialiste dont j’avais entendu parler, chez qui je n’avais pas réussi à décrocher de rendez-vous à cause de la longue liste d’attente. Un moment décisif dans notre vie, puisqu’elle a su rapidement déceler qu’il s’agissait d’autisme Asperger. Un programme plus adapté à ses difficultés a été mis en place directement dans l’établissement spécialisé. Ses compétences ont également été mise en lumière et ma fille a pu enfin apprendre à s’en servir comme levier tout en travaillant sur les habilités sociales dont elle a tant besoin. À la maison, j’ai pu adapter aussi son apprentissage en passant beaucoup par le jeu et Brune a pu évoluer aussi en prenant exemple sur ses frères et sœurs. Mais très vite, quelques mois après, le moral de Brune a chuté à nouveau avec une dégradation de son état général. Elle avait besoin de retrouver “la vraie vie”.
Je ne voulais pas faire que râler, mais participer au changement
Je me suis renseignée sur ce qui se fait ailleurs et j’ai appris qu’en Belgique et au Québec notamment, il existe déjà pas mal d’écoles qui sont sur l’ouverture et pas des ghettos pour enfants autistes. Je ne l’avais pas retiré de l’hôpital de jour, où elle se sentait mal pour retrouver quelque chose de ce genre.
Lorsque j’ai eu le projet en tête, j’en ai parlé au député maire en lui disant que je ne voulais pas faire que râler, que je me sentais le courage et l’énergie de participer au changement. En rencontrant plusieurs associations pour mettre au point mon projet, beaucoup de mamans avec des enfants ayant des troubles différents de Brune, mais pas si éloignés, m’ont expliqué que ça correspondait aussi à leurs enfants. Je me suis donc dirigée vers la création d’une école pour des jeunes qui présentent des troubles du neurodéveloppement. L’idée, c’est d’accueillir des élèves en rupture scolaire, pour qu’ils prennent le temps de trouver comment ils fonctionnent, de se ressourcer, de mieux s’aimer aussi. Le but étant, ensuite, de mettre en place des outils adaptés afin de leur permettre d’évoluer en fonction de leurs capacités et, à terme, de retrouver, s’ils le souhaitent, un parcours scolaire ordinaire. Ce sont des classes de 10 enfants maximum accompagnées par un maillage pluridisciplinaire de 21 professionnels.
Du soutien aussi pour les parents
Je me suis rendu compte qu’il y avait énormément de personnes qui se formaient à l’étranger et qui voulaient participer au changement, mais qui manquaient d’un lieu pour coordonner tout ça. Je n’ai pas vraiment eu besoin de les chercher, elles se sont présentées à moi et c’est ce qui rend cette expérience encore plus formidable. MEEO va du CP jusqu’au collège. On résonne plus en termes de classes par âge que de niveau. Il y a également une classe pour les enfants qui présentent un autisme très sévère, parce qu’ils ont besoin d’une attention encore plus particulière, avec un projet de vie différent des autres, qui ne sera pas celui de retrouver le chemin de l’école classique.
On essaye aussi de venir en soutien aux parents, puisque bien souvent, leur vie professionnelle, familiale et leur couple souffrent. On propose des "cafés aidants" aux parents. On essaye de les aider à retrouver une vie normale grâce à la réinsertion de leurs enfants atypiques dans le rythme scolaire. Une fois que l’enfant est retourné à l’école, nous gardons le lien entre les deux corps enseignants, on s’assure qu’ils soient entourés des professionnels qu’il lui faut.
Au niveau de l’éducation nationale, le chemin est encore long !
Aujourd’hui ma fille est en quatrième à MEEO. Elle n’a pas le souhait de retourner en cursus ordinaire pour l’instant et les professionnelles de MEEO ont jugé bon de continuer son parcours. Elle a pour projet de partir en apprentissage après sa troisième, d’aller sur le terrain professionnel au-delà de sa vie scolaire et c’est complètement dingue.
Nous espérons vraiment pouvoir créer un modèle clé en main afin de le transmettre à des parents qui se sentiraient l’énergie et le courage de se rassembler pour ouvrir d’autres MEEO en France. Au niveau de l’éducation nationale, le chemin est encore long ! On essaye de créer des ponts, de contractualiser et de faciliter le parcours de chaque enfant jusqu’à ce que l’inclusion puisse être effective dans l’école ordinaire.
Ma philosophie
L’humour avant tout : étant donné que les enfants n'ont pas de filtre, on se retrouve en tant qu’aidant dans des situations “très gênantes” comme disent souvent les ados. Je pense que l’humour nous sauvent de tout et ce sont des enfants, qui, dès qu’on prend les choses à la rigolade, mordent à toutes propositions.
Mon conseil pratique
Aller vers d’autres parents : parler de toutes ces petites choses du quotidien qui nous empoisonnent la vie. Pour Brune par exemple, il était très compliqué de lui mettre des chaussettes. Sauf que lorsqu’on habite en Haute-Savoie, les températures sont parfois en dessous de zéro et ils nous arrivaient de ne pas sortir parce que mettre des bottes et des chaussettes était impensable. En discutant avec un groupe, j’ai rencontré une jeune autiste Asperger qui m’a expliqué que, pour elle, mettre des chaussettes étaient tout simplement très désagréable. Alors, elle mettait du talc sur ses pieds. La solution était enfin trouvée.